Carte postale

Ici c’est le monde des années 80

Comme si le passé pesait de tout son poids

Dans les conversations, dans la musique en boucle, dans les références, dans les murs pâles comme ceux d’autrefois, dans la bulle où la communauté des fous respire, dans la bulle que je cherche à fuir moi

Et souvent la question qui revient est

« Est-ce qu’il est mort ? »

« Est-ce qu’elle est morte ? »

Quand le verdit tombe pour « oui »

Il y a toujours un « Et Merde… » suivi d’un silence que personne ne peut briser

Ici la compassion est reine pour ceux et celles parti.e.s trop tôt, trop vite, sans crier gare, comme ça, célèbre ou non, connu ou pas, connu de quelques-uns ou connus de tous et toutes

S’il est mort on demande irrémédiablement

« De quoi ? »

Certains sont morts drogués, d’une overdose ou d’une crise cardiaque

Certaines sont mortes d’un cancer ou sous le poids de l’alcool

Certains sont morts de maladie, de coma, d’allergies

Il y a des morts bêtes et il y a des morts profondes

On sait que tout se joue sur rien et que rien ne se joue sur tout

Les questions se précisent parfois

« Cancer de quoi ? »

Du foi, de l’intestin, des poumons, de la gorge

Alors chez nous, les fous, il y a quelque chose qui survit en apnée

Parfois certains, certaines ne sont pas mor.te.s

Alors on respire, c’est possible

Sortir tout droit d’une enfance ou d’une adolescence, peut-être même d’un âge adulte dans les années 80 et être encore en vie

On respire, on se dit : c’est donc possible

Parfois il y a eut des rémissions de certains cancers, des gens qui ont arrêtés net la drogue ou la clope ou la boisson

Parfois il y a des artistes qui fuient le club des 27

Parfois il y a même des gens qui meurent dans leur lit, de vieillesse

De leur bonne vieille mort comme on dit

Et là : on respire

C’est donc possible…

Peut-être que l’Univers laisse les humains responsables d’eux-mêmes, de leur libre arbitre et ce qui fait vraiment chier, c’est quand la mort a une raison valable

Ils ne fallait pas fumer, il ne fallait pas cramer la vie par les 2 bouts, il ne fallait pas se damner par terre, il ne fallait pas

Nous, les fous, dans ces cas là on baisse la tête et certains réfléchissent à comment éviter le problème

On se met a compter nos clopes du matin au soir

On se met à manger équilibré coûte que coûte

On fait des régimes drastiques dont on ne voit jamais la fin

On se réfugie dans le sport ou dans la contemplation d’un monde qui se termine

On manigance entre nous et nous-mêmes des solutions pour ne pas mourir

On ne veut plus imiter les autres

On essaye de se ressembler le plus possible

On essaye de sauvegarder ce qu’il nous reste de cerveau

Et dans ce cerveau on y met des injonctions à maudire

Pourrait-on vivre calme et vieux sans le sentiment d’urgence que tout est à refaire ?

Dans cette carte postale des années 80

Où Radio Nostalgie s’allume samedi et dimanche matin avec parfois 3 nouveaux tubes des années 2020

Je voudrais dire quelque chose

Parfois les morts des autres n’ont pas de sens

On ne comprend pas pourquoi lui et pas un autre

Pourquoi elle et pas le voisin

Parfois il ne sert à rien de courir des réponses

Mieux vaut s’abstenir et éviter de tout comprendre

De mettre un sens derrière chaque vie, chaque mort, chaque trépas

Comme si on pouvait élucider les mystères de la vie sans la mort

Comme si la vie pouvait avoir un sens sans la mort

Ce qui nous fait humains, c’est que nous sommes mortels et fragiles

Une paille dans un précipice

Une poussière dans un monde étoilé

 

Ici c’est un monde où le passé prend trop de place

La mode est un éternel recommencement

La musique est un éternel recommencement

La publicité, les voitures, les dunes sous la mer

Tout est un éternel recommencement

Alors je me prends à rêver que derrière la vie il y a un autre recommencement

Ou dans 2 millions d’années lumière je pourrai retrouver ceux et celles que j’ai perdu pour toujours dans cette vie là

« On se retrouve dans une autre vie »

Ce serait l’ultime graal

Revoir celui qui est parti trop tôt sans d’autres explications que celles que l’on veut bien se donner à soi-même secrètement

Ce qui ne sert à rien

J’ai refait mille deux cent six fois les histoires des morts dans ma tête

Pour savoir comment on aurait pu éviter le pire

J’ai fini par abdiquer

Car on ne pourra jamais refaire le passé

Il ne reste plus qu’à cueillir le moment présent

L’avenir est trop lointain

Il ne reste plus qu’à faire de nos vies ce qu’auraient aimé les morts que nous connaissons : de beaux labyrinthes plein d’amour

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.