Un quotidien à l'HP

Ici les murs sont laids et quand il pleut on remplit des bassines de flotte

On met des draps le long des fenêtres

On anticipe le pire

Ici l’habitude des locaux reste ancrée chez chacun.e

Je connais les douches qui n’ont pas de pression

Certaines ont été condamnées

Par dessous les portes des cabines, l’eau coule et remplit une petite flaque sur le sol, juste derrière cette porte.

Peu de moyens pour les HP

Il y a une douche et un toilette, on peut fermer la porte d’entrée à clé

On se sent protégé, enfin

Dans ce semblant d’intimité

A horaires millimétrés

 

A 7h30 on peut fumer la 1ère clope

A jeun

C’est entre 7h30 et 8h où l’on peut respirer le grand air, dehors, en plus de celui de la fumée de cigarette

Trop vite fumée

Avec cet espèce de vertige

Comme si ça faisait quand-même…

5 mn de passées

Je regarde le lever du soleil

Que je confonds souvent avec le

Coucher du soleil

Les couleurs sont les mêmes, je ne sais plus si c’est la nuit ou le jour

Si ce n’est que le spectacle a changé d’endroit

A l’Est

Le plus beau spot de Montluçon est ici

Par canicule il y règne un petit vent frais

Mais quand il fait froid en bas

Il fait encore plus froid en haut

On parle de « la cuvette »

Comment c’est en bas ?

Comme ci, comme ça

Les humains font des queues pas possible aux pompes à essence

Certains rayent les voitures des autres ou vocifèrent des noms d’oiseaux

Comme ça

D’humains à humains

En se demandant qui aura la priorité

Ici

On se sent protégé du vacarme d’en bas

A l’abri d’une certaine misère humaine

On préfère la nôtre

Souvent, entre nous, on se comprend

Entre nous, les fous

A 8h il y a le petit-déjeuner

C’est un rituel bien ordonné

8 heures moins cinq tout le monde est à sa table

2 par table par temps de covid, en décalés

Ça laisse de l’air par dessous les tempêtes neuronales

L’ASH passe à chaque table et demande à chacun.e ce qu’il désire pour le petit-déjeuner

Café noir sans sucre

Café au lait avec 3 biscottes

2 pains, 2 beurres, 2 confitures

Café noir avec 6 sucres

Pain de mie, brioche le dimanche

Et Ibrahim qui redemande « un petit fond de café »

 

La 1ère fois que j’ai suivi le rituel je suis restée hallucinée devant la patience des ASH

Leur sollicitude, leur amabilité, leur douceur

Même si ça dépend desquelles

Même si ça dépend des caractères ou des fonctionnements de chacune auxquels il tient de s’adapter

Incroyable

Rien à voir avec d’anciens HP que je fréquentais dans l’espoir d’obtenir

Le matin

Une gentillesse insoupçonnée.

Le sourire va avec la faim

La gentillesse va avec le café

Moi, ça me requinque en moins de 2

J’avais toujours dit « ne me parlez pas avant le café ! »

C’est vrai que la tête dans le brouillard va mal avec tenir une conversation

Mais ces matins là

Quand l’angoisse me submerge et que je pète un câble de solitude

Bien avant le café ou pendant

J’ai eu des conversations pas croyables avec certaines ASH, certains infirmiers

Ou certains patients

Pas croyable

 

Au milieu du petit-déjeuner

S’instaure le rituel des médicaments

Chacun.e est appelé par son nom pour prendre la dite potion

Ici ce n’est pas comme ailleurs

Ici ce n’est pas la camisole chimique

Ici ce n’est pas profit et rentabilité

Ici ce n’est pas chantage à la maladie ou à la manière de se comporter

Ici c’est l’humain

On me donne le moins de molécules possible

Je n’en ai que 2, parfois 3

Une seule restera à vie, dans le meilleur des cas

Ici ce n’est pas une clinique privée

Ici c’est l’hôpital public

Le temps qui est accordé à chacun.e comme à tous est un truc de dingues

Ici on parle résilience

Et non diagnostics, argot médical et coeur lessivé pour mériter l’AAH

Dans d’autres lieux

Dans d’autres HP

Les droits humains se méritent

Ici il suffit d’être un humain pour mériter de vivre

Et de vivre dignement

Un truc de dingues, je vous jure

Du jamais vu pour moi

Alors

A 8h30

Après que je me sois répétée 22 fois « j’ai le temps de manger » et finis mon repas

Je vais fumer ma 2ème clope

Que l’on peut fumer tranquille, jusqu’à 9h je crois

Puis j’ai jusqu’à 9h30 pour prendre la fameuse douche

Que d’autres prennent le soir ou le matin à partir de 7h

C’est un refrain millimétré mais on peut y inscrire ses propres habitudes

A 9h30 pile je sors de ma chambre et j’ai fais mon lit

 

Entre 9h30 et 10h, on regarde des clips avec mon voisin de table

Les vieux clips des mondes anciens ou les clips d’aujourd’hui

On fixe les images, on scrute le scénario, on commente

On garde toujours quelque chose de positif quelque soit le clip mais souvent

On parvient au même point de vue : dommage…

Le monde de la musique s’appauvrit souvent

En tout cas sur W9

Et je ne parle pas des interminables publicités que je ne peux plus supporter

Et je ne parle pas des autres programmes où l’on recycle depuis 10 ans les mêmes conneries de soupe de télé-réalité en pensant inventer la poudre

La France s’ appauvrit

Intellectuellement souvent

A force de notes, de commentaires et de buzz

De reportages sur le tout sécurité ou sur les faits divers les plus sordides

Je ne veux pas participer à cette mascarade

Alors

Je me rattrape sur les clips

Ou la radio du week-end

Un monde musical sur des images

On peut y puiser 100 fois l’essence des sociétés d’hier et d’aujourd’hui

On y note des points communs, des évolutions, des régressions

Un monde qui bouge sans nous

Mais qui bouge quand-même

A 10h je fume ma 3ème clope

A 10h30 il peut y avoir des ateliers thérapeutiques

Ici j’ai tiré à l’arc, joué à la pétanque, marché dans la nature, assisté à des matchs de foot et de hand, ramassé des bouts de nature pour en faire des loisirs créatifs, colorié des pages de mandalas, cuisiné une soupe à la citrouille, fais de courses pour la dite soupe, et j’en passe

Ici ce n’est pas l’ennui vendu en pâture au milieu de 15 000 clopes à la journée

Ce n’est pas une tournante de drogue ni de l’alcool pour ceux qui justement voulaient s’en extraire

Ici c’est un autre monde

Où l’on fait des choses…

Faire, agir, participer, se soigner, prendre soin

De soi

S’il n’y a pas d’ateliers ou si ils ne m’intéressent pas, souvent

Et toujours

On est confronté à l’ennui

Il y a eu des périodes où j’ai fais trop d’ateliers pour remplir le temps

J’étais contente alors de m’ennuyer

Tout est histoire de juste dose

S’ennuyer

Ou apprendre à occuper son temps

Seul.e ou à plusieurs

C’est l’histoire d’une cuisine savante

Dont peu connaissent la recette

Je l’apprivoise chaque jour

Lire, écrire, écouter des podcasts, de la musique, regarder des vidéos

Avec 200 giga de côté

Une amie m’a dit un jour

« Si ça te fait du bien, tu le fais, si ça ne te fais pas de bien, tu ne le fais pas »

Je garde souvent la sagesse de ces paroles en mémoire

Je contemple de mon lit la vue par la fenêtre

Des branches de pins sur un ciel clair

J’écoute Gaël Faure réinventer les rimes avec Camélia Jordana

Je laisse le temps filer

Parfois c’est juste beau

Ne rien avoir à faire

C’est d’un contraste effrayant avec les sorties

Où tout d’un coup,

L’étendue de tout ce qu’il faut faire chez soi submerge

Les courses, la cuisine, le ménage

Et mille autre détails de la vie quotidienne

Se remettre à flot

Des week-end chez moi je ne voudrais emporter que les rires de mes amis et de ces moments partagés qui redonnent goût à la vie

Quand l’Amitié devient cette espèce de bouée de sauvetage

Cet oasis pur où l’on peut se baigner sans craintes

Là où l’on peut faire une confiance aveugle

Ce qui relève et fait chaud au coeur

L’absence de préjugés

La compassion et la présence saine de ceux et celles qui seront toujours là

La famille comme un ancrage, un port

Les familles de coeur et la famille de vie

Tout s’allège juste pour de bons moments

De si bons moments

Alors la vie n’a pas d’autre sens que d’y passer de bons moments

Simples et vrais

 

A midi c’est l’heure du repas

A midi moins cinq tout le monde est dans les starting-blocks

A 12h30 je fume ma énième clope

J’en suis à 13 par jour

C’est un décompte savant

Avec mathématiques addictives et récidivistes

 

De 13h à 14h30 c’est l’heure de la sieste

Qui n’a au départ d’intérêt que si on la fait

Dans le sommeil, on ne connait pas l’ennui, ni les questionnements, ni l’angoisse, ni rien d’autre qu’un repos mérité

Depuis que je dors sans aide médicamenteuse, le repos est vrai

Aussi je ne fais pas la sieste tous les jours

Une nana yogi plus folle que moi disait un jour

« Quand on a envie de dormir, on dort, quand on a envie de manger, on mange, quand on a envie de boire, on boit, etecetera »

Ça me semblait être la logique même à se passer de commentaires

Le jour où cette nana mit fin à mon sommeil, je lui aurais bien envoyé à la gueule d’autres maximes extraordinaires

Mais j’étais déjà trop perchée pour lui en vouloir

Alors

Pendant la sieste parfois le temps est long

Très long

J’ai eu différentes périodes que j’ai occupées de différentes manières

De 14h30 à 16h il peut y avoir d’autres activités 

Ou du temps à ré-occuper, ré-organiser, ré-investir

« Occupe-toi » dit-on aux enfants qui s’ennuient

S’occuper de soi, plus que « d’occuper le temps » en le remplissant comme des vaches maigres à qui l’on donne du foin 

 

A 16h je crois qu’avec le petit-déjeuner c’est le moment préféré de ma journée

16h, c’est la collation

Je ne vous parle pas de la collation payante de certaines cliniques privées

Où jour par jour s’additionnent les 50 centimes de collation

Je ne vous parle pas de cet accueil là qui va avec les tunes

Je vous parle du vrai 4 heures

Mieux que les enfants qui aiment le goûter

Ou alors pareil

Avec cet air d’innocence, de déguster un met remarquable

Comme ça, en plein milieu de l’après-midi

Avec les desserts des repas, c’est le moment du sucre

Une madeleine et deux carrés de chocolat

Servis avec une tasse de café

Au début je pensais « du café d’HP »

Juste celui qu’il faut

Du vrai café, mais tellement dilué qu’il ne ferait pas de mal à une mouche

Mais du vrai café quand-même

Il est bon

Il a cette chaleur des jours noirs avec fumée

Des jours aux sages roses piquantes

Le café de 4h

C’est avalé en 5mn mais ça fait un bien fou

Ça coupe la journée

Ça remet les pendules à l’heure

Ça donne un objectif

Comme chacun des repas

 

De 16h à 17h, souvent, je vais à la cafétéria

J’y vais plus tôt si je n’ai pas d’activités

Adrien, qui tient la cafétéria, a cet accueil que lui seul connait

On peut refaire le monde là pendant des heures en sirotant des cafés décaféinés ou des verres de grenadine

Chacun.e a ses habitudes a la cafétéria

Ibrahim demande ses 3 Nuts dont il vérifie à chaque fois la date de péremption

Avec une canette de Fanta

Chris demande une canette d’orangina, celle de la coupe du monde et hésite entre le sachet de bonbons ou le paquet de gâteaux

Sandrine mange 3 glaces d’affilé

Hélène 2 paquets de gâteaux très sucrés

Ceux à la cerise, rayés sur le dessus

Yoann s’assoit et redit 20 fois la même phrase, celle qui concerne le jour d’aujourd’hui : « mardi, mardi, mardi, mardi »

J’aimais bien au début m’assoir au bar avec un petit vieux qui connaissait un nombre incroyable de choses sur l’ancien temps et qui discutait sans discontinuer avec Adrien

Je me suis incrustée dans leurs conversations

Ça m’intéressait

Des conversations de gens normaux

Qui parlent du monde d’aujourd’hui sur ses mille et une facette

Et du monde d’hier, de l’évolution, dans tous les domaines

Immanquablement on en vient toujours à la politique

Et pour tout vous dire j’aime assez les idées de Laurent

Alors je m’assois et j’écoute

Au fur et à mesure du temps, j’ai de plus en plus pris la parole

Les plus lettrés d’entre les lettrés appellent cela « le lien social »

Moi j’appelle cela, de la discussion, de la convivialité, du bien-être entre semblables.

J’aimais bien les idées de Laurent, mais assez vite, je n’ai plus été d’accord, alors - tenez-vous bien- nous avons eu : des débats. Nous n’étions pas d’accord mais nous respections la parole, l’avis et la personne en face de nous. Nous n’étions pas sur internet à commenter pour commenter, cachés derrière nos écrans, pensant vivre la vraie vie. La vraie vie est celle ci : débattre et se respecter, en live. 

 

Souvent je vais m’assoir avec Sandra, Natasha et Noémie

Un jour on s’est dit qu’on devait être 4 drôles de dames

Là comme ça, à commenter la vie, assises sur notre banc

Sandra a ajouté : « ou les 3 mousquetaires »

Et ça m’a fait rire

On cherchait de qui serait Amis, Dartagnan…

Sandra connaissait le bouquin par coeur ainsi que les caractères de chacun des personnages

4 mousquetaires, 4 drôles de dames qui partagent les mêmes soucis de mémoire défaillante

Sauf pour certaines choses précises

Peut-être qu’on appelle cela « la mémoire post-traumatique »

Qui va avec l’angoisse « post-traumatique »

Ce qui rassure entre drôles de dames 

C’est que l’on connait les mêmes soucis de cerveau à des niveaux différents selon nos personnalités et nos expériences

Ça rapproche, on s’accompagne et on se comprend

Souvent je pense « amis d’HP » 

Car on ne sait jamais si on connaitra encore ces personnes quand on sera « sorties » 

On se croisera sûrement et on se paiera un café

Comme ça, pour parler

Des mauvais et bon vieux temps d’HP…

C’est assez étrange ce genre d’amitié

Surtout que les gens vont, viennent, partent ou reviennent

Comme si nous prenions des trains avec le même quai de gare qui s’appellerait HP

Mais une fois, Christine a dit « on fait de belles rencontres dans la vie, même à l’HP. » Et c’est vrai.

 

A 19h c’est le repas du soir

A 20h on doit être remonté à l’étage

Je vous épargne l’avant dernière cigarette

Mais pas son coucher de soleil 

Quand les lumières crépitent à l’Ouest

Et que devant tel paysage je n’ai plus rien à dire

 

 

De 20h à 22h c’est la soirée

L’angoisse de l’attente du matin, quand on se réveille trop tôt, rejoint l’angoisse de la soirée, quand on doit repousser l’heure du sommeil pour avoir des « vraies nuits »

C’est la nuit

La nuit du matin me fait péter les plombs

La nuit du soir me fait péter les plombs

Je sais que dans ces heures-là, il ne sert à rien de réfléchir

Toute réflexion sera nuisible avec des conclusions bizarroïdes

Les choses prennent un autre sens, un autre concept, une autre alliance avec la nuit

Je vois tout en noir

En très très noir

J’ai élaboré maintes stratégies pour survivre à l’attente

Certaines stratégies sont foireuses juste suivant les jours

Un jour ça marche, le lendemain non

J’ai finis par me dire que chaque jour était unique et qu’il fallait composer avec

Ce matin j’ai pris une douche à 7h

Ça m’a fait passer 1/2h et en prime, ça m’a réveillée

Chez moi, je changerai cette douche par un vrai café

Et plus rien ne nuira à mes propres habitudes

Le soir, je coupe tous les ¼ d’h des films à suspense insoutenable

Ce sont des séries que les gens « normaux » avalent goulument sans se poser de questions

J’écris, ça reste la meilleur évacuation du bazar intérieur

J’écoute de la musique, je lis

J’essaye de me mettre des coups de pieds au cul pour repousser l’heure de m’endormir

A force de coups de pieds au cul, je crois que je n’ai plus de cul

A force de guerres intérieures, de coups et de contre-coups

Je contre-carre mon esprit prisonnier dans une serpette-baïonnette

Je suis à la trace les manigances de mon esprit souvent désorienté

Mais je me reconstruis.

Merci, l’HP…

 

 

 

 

 

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