
Il aurait fallu que je me laisse 1 heure
Avant d’entrer dans la salle d’art thérapie
Le téléphone sonnait, l’art thérapeute répondait
Et moi je voyais voltiger devant moi, à des années-lumière, tout ce que j’avais pu faire d’art dans ma vie, et surtout à l’hôpital
Cette fille de 20 ans
Qui jetait de la peinture contre les murs dans des accès de vie
C’était moi
Cette fille de 20 ans
Qui modelait docilement je ne sais plus quelle statuette
C’était moi
Cette jeune femme de 20 ans
Qui parcourait le son des jardins du Vinatier avec un étrange artiste pour faire vibrer la vie
C’était moi
Cette femme de 23 ans qui se faisait virer des ateliers d’écriture
C’était moi
Cette femme de 23 ans qui se faisait virer de l’atelier de peinture
Dans une autre hôpital, dans une autre vie
C’était moi
25 ans plus tard, je suis l’adulte qui regarde tous ces anciens comas tournoyer devant elle
Qui rage de désespoir d’en être encore là
Qui s’accroche à peu de choses
Un sourire, une musique, une conversation
Un amant
Une vie à refaire derrière les barreaux d’une prison
Pendant que mille Diego dehors dansent libres dans leur tête
Que Sergio allume à fond Johnny Hallyday
Que l’art thérapeute me regarde avec un cerveau compréhensif
Que Maria coupe les tifs en sachant trop pourquoi
Ou pas
Moi 25 ans plus tard, je voulais refaire l’art
Je m’inventais une retraite de milieu de vie où je n’aurais pas à attendre la vraie retraite qui n’existera jamais pour ma génération
Pour peindre
J’ai mis mille ans dans ma tête à abandonner le modelage sur terre, l’aquarelle, l’huile et leurs détails
Je regardais chaque patient peindre si patiemment
Avec tant de douceur
Les détails d’un fleuve, d’une rivière, d’un animal
Les reflets
C’était bien au dessus de mes capacités
Moi je voulais finalement jeter toute ma colère et toutes mes émotions d’une palette infinie sur une toile blanche
Sur un calendrier de récup repeint en blanc
Au gesso
Je voulais en même temps apprendre tout le vocabulaire
Comment appelle t-on ces spatules
Comment mélange t-on les couleurs
Que peut-on faire avec du papier de soie
Comment peut-on fendre la matière, en écoutant le bruit qu’elle fait, jusqu’à s’en limer les tympans
Que peut-on jeter ainsi hors de soi de si indécent qui n’a même pas de mots ?
Une peinture comme un désert de solitude que rien ne comblera
Une peinture comme une traversée de l’océan en solitaire
Une peinture pour toute l’amitié perdue
Pour toute celle a retrouver
En soi
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