Des silences dans ma tête

Je marchais dans la rue et je comptais les silences dans ma tête

Ça faisait

1, 2, 3, 4

Parfois

Un, deux, trois, quatre

C’était un fou plus fou que moi sur le moment

Qui m’avait enfermée avec lui dans son propre patriotisme de santé naturelle

Il m’avait dit « les gens qui ont des silences dans leurs têtes, ce sont les fous, on m’a appris ça en cours de chiropractie »

Sur le moment je suis restée ébahie

A me répéter « bordel, je suis folle, j’ai des silences dans ma tête, entre 2 pensées »

Plus tard, bien plus tard

Alors que je me remettais péniblement de 5 mois d’HP

Ma mère m’a dit « mais non Cécile, c’est normal, il n’y a rien de plus normal que d’avoir des silences dans sa tête »

Alors

Fière de ma victoire

Heureuse de cette fabuleuse découverte

Et me battant contre chacune de mes pensées devenues mortifères

Je me suis mise à compter les silences dans ma tête

Parfois, cela s’ajustait à ma respiration

Je respirais et je comptais

Un, deux, trois

1, 2, 3, 4, 5…

Parfois cela s’accordait à mes pas sur le bitume

1, 2, 3…

J’aurais aimé qu’il n’y ait dans ma tête que des silences

Plus aucune pensée

Car chacune de mes pensées me faisait mal à m’en déchirer l’estomac

Plus aucune pensée de valable

Plus aucune pensée de bien-être

Plus aucune pensée qui ne m’arrache pas à ma condition d’être humain

Dans la folie, on oublie

Je recherchais une « vraie pensée »

Je m’en souviens très très bien

Parfois je pensais « rien à foutre »

Et je me disais « bordel, ça c’est une vraie pensée, je pensais comme ça…

…Avant »

Alors je m’accrochais à cette unique pensée

Quitte à me la répéter

Chercher sa vraie pensée…

Les silences dans ma tête ont failli faire comme un encéphalogramme plat

Du moins, c’est ce que je me disais

J’allais chez ma voisine et parfois

A force de discussions j’avais l’impression que mon cerveau faisait RESET

A force de discussions où je ne comprenais plus mon propre avis

Parfois uniquement ce que j’avais vécu

Comme un miroir tendu

Je me m’étais si facilement à la place de mon amie

Dans ses avis

Dans ses opinions

Dans sa façon de comprendre les choses et de voir la vie

Nous avons eu tellement de sujets de discussions

Je crois que je me reniais moi-même

Sans m’en rendre compte

Mon avis sonnait dans ma tête comme autant de questions sans réponses

Peut-on se mettre à ce point là à la place des autres jusqu’à adopter leur propre avis sur le monde et les choses ?

Oui

Quand on n’a plus aucune confiance en soi

Et qu’on regarde l’autre comme un talisman, un diamant brut de décoffrage qui n’a même pas besoin d’être poli tellement il est beau

Je ne voulais pas être « l’autre », je voulais rester moi, plus que tout

Je me répétais

« Je ne voudrais être quelqu’un d’autre pour rien au monde »

Mais je me laissais souvent avaler tout cru en renonçant à moi-même

Je ne savais plus rien de ce qu’était mon « moi »

Alors même si quelque chose en moi me répétait : « c’est impossible de faire RESET avec son cerveau », je me le laissais bouffer

Et ma comparse n’y était pour rien

C’était moi, ma folie, mon besoin de partager, de rire, de parler

C’était moi, mon encéphalogramme plat et bientôt, j’eu des vertiges

Il y avait 500 mètres entre chez mes parents où j’habitais et chez mon amie

Bientôt ce fut un combat pour rentrer « chez moi »

Ma tête allait exploser de vide

Un jour, pour franchir les 30 derniers mètres qui me séparaient du canapé de chez mes parents

Je me suis mise à penser très fort

« Pense à tes amies »

« Pense très fort à Aurélie, à Coline, à Nathalie, à Valérie… »

Etecetera

Tout d’un coup, de penser que j’avais des amies qui m’aimaient telle que j’étais

Même malade, même mal foutue, même sans avis, même à deux doigts de m’évanouir, là, dans la rue

J’ai franchi les 30 derniers mètres

Ma plus grande peur était de m’évanouir dans la rue et qu’il n’y ait personne pour me ramasser

Ma plus grande peur était de perdre le contrôle de moi-même et de me laisser ainsi glisser sur le trottoir, évanouie, sans savoir, sans connaitre le trou noir dans lequel je sombrais

Un jour que je devais aller à la poste changer d’adresse ou remplir je ne sais plus quel formulaire

Mon cerveau de dingue me répétait

« Tu vas y arriver »

« Tu marches tout droit, tu fixes un point sur l’horizon, tu ne calcules personne, tu ne regardes pas les gens dans les yeux, tu avances, tu marches, tu ne vas pas t’évanouir, tu ne vas pas t’évanouir, non, n’y pense pas, pense à autre chose, tu vas y arriver, plus que 200m, 100m, 50m »

La poste qui était à 5 rues n’avait jamais été aussi loin de moi

Si l’on vous parle de la santé mentale

Ne me dites jamais que ce n’est pas un putain de combat

Plus tard, bien plus tard

Alors que je me réveillais d’un coma noir puis sous voix

Que les voix étaient revenues me percher haut dans ma tête

L’une de mes meilleures amies m’a dit :

« Tout le monde pense Cécile, on est obligé de penser »

Ça a révolutionné le peu de vie qu’il me restait

A ça, j’ai ajouté pour moi « je ne peux pas choisir mes pensées »

« Je pense, c’est tout »

Ça m’a sauvée

Si des pensées que vous détestez viennent siniser entre vous et vous-même

Que faites-vous ?

Rien

A part accepter

Accepter que ces pensées sont là et qu’on ne peut pas les fuir

Même les pires

Ça a révolutionné le peu de vie qu’il me restait

Ou plutôt ça m’a redonné vie

La vie est revenue

Avec une petite posologie

Beaucoup d’ateliers thérapeutiques pour reprendre confiance en moi

Beaucoup d’amitié, beaucoup d’amour

Beaucoup de ces regards amis qui ne jugent pas

Qui sont justes là pour le pire et pour le meilleur

Alors

J’ai arrêté de compter les silences dans ma tête

Pour ma renaissance

Cela faisait parti du quotidien de mes pensées

Sans que je ne m’en rende compte

1, 2, 3, 4…

Jours de pluie

1, 2, 3, 4, 5…

Douceur de soleil et de temps

1, 2, 3, 4, 6, 8, 12, 22

Amis avec qui il fait bon vivre

Une grande respiration

Une grande part des choses

La vie qui revient

Je n’ai jamais compris le « je pense donc je suis »

Mais quand même

Je pense et je suis, en même temps

Sans qu’aucune pensée ne puisse plus jamais me tuer

 

 

 

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